Accompagnement financier des salariés, quelles limites pour les RH ?

Quelles limites pour les RH dans l'accompagnement financier des salariés ?

Contributors
Paulina Jonquères d'Oriola
Journaliste
Conseil RH
6 minutes
Sommaire

La vie personnelle des salariés n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Les accidents de la vie peuvent aussi avoir un lourd impact financier. Si ces informations demeurent confidentielles, il arrive que les ressources humaines se retrouvent mêlées de facto à cette intimité. Jusqu’où peuvent-elles aller dans l’accompagnement financier de leurs salariés en difficulté ? Quels sont leurs leviers ? Et quand doivent-elles passer le relai ?

À cheval entre l’administratif et l’humain, les services RH multiplient les casquettes, parmi lesquelles l’accompagnement des salariés en difficulté financière.

À ce titre, les gestionnaires de paye - dont le métier est souvent méconnu - sont les seuls (avec les interlocuteurs RH) à accéder aux données confidentielles des salariés. Ces données dites privées et soumises au RGPD sont le RIB (élémentaire pour verser le salaire !), la situation maritale et le nombre d’enfants à charge (pour la mutuelle notamment) et enfin les informations provenant du prélèvement à la source.

Tous les salariés soumis à l’impôt sur le revenu sont directement prélevés sur leur bulletin de paie. Ils peuvent opter pour un taux personnalisé fixé par le service des impôts, ou encore un taux neutre. “Certains salariés choisissent cette seconde option car ils ont parfois un taux personnalisé élevé par rapport à leur salaire en raison de leur patrimoine immobilier personnel”, illustre Stéphanie Carlucci, DRH externalisée qui a notamment travaillé dans l’industrie.

Mis à part ces données, les RH n’ont pas vraiment la tête dans les finances des salariés. Sauf que, certains accidents de la vie ou situations de rupture peuvent amener les ressources humaines à prendre connaissance de situations personnelles complexes. C’est notamment le cas lorsqu’elles reçoivent un avis de tiers détenteur ou de saisie administrative. “Il peut s’agir d’une situation de surendettement, d’amendes non payées, ou de non versement d’une pension alimentaire par exemple”, précise Stéphanie Carlucci. Dans ce cas, les services de paye - qui ont reçu un courrier du tribunal administratif - n’ont d’autre choix que de prélever le montant demandé sous peine de se voir infliger une amende de 10 000€. Ce type d'événement amène les RH à parler avec les salariés et leur fait prendre la mesure de leur détresse financière, malheureusement souvent trop tard.

A savoir : Dans le cas d’un échelonnement de la dette, un barème existe pour conserver un reste-à-vivre suffisant pour le collaborateur (a minima un RSA pour un salaire peu élevé). Voir plus d’informations sur le site du Service-public.

Au-delà des chiffres, des enjeux hautement humains

Pour les services de paye, et plus globalement les RH, il s’agit d’un pan difficile de leur métier. “On se retrouve démunis face à ces situations. Je me souviens d’une collaboratrice dont l’ex-conjoint avait laissé une grosse ardoise, et qui est venue me parler quand sa santé a commencé à se détériorer. Nous avons regardé ensemble comment créer un dossier de surendettement. Ce stress financier a un impact réel sur l’entreprise qui ne peut détourner le regard”, estime Stéphanie Carlucci.

De plus, la DRH souligne qu’avec la complexification croissante de l’administration, elle a aujourd’hui de moins en moins la main pour proposer des solutions alternatives comme un treizième mois en avance, ou au contraire le décalage du versement d’une prime pour que les dettes s’apurent sur le minimum. “Ces manipulations sont de plus en plus compliquées avec la dématérialisation des flux, c’est pourquoi les solutions technologiques qui nous aident à renseigner ces informations sont précieuses. Car dès qu’on manipule des données, il y a des risques d’erreurs ou de retraitement de l’information”, poursuit notre interviewée. 

Le rôle crucial des gestionnaires de paie

Accompagner les salariés, c’est aussi les soutenir humainement, comme nous l’explique Agnès Munuera, Sous Directrice chargée de l’administration générale du personnel au sein de l’Assurance Retraite Caisse Nationale. Preuve qu’un changement de paradigme est à l'œuvre, elle nous rapporte que l’organisation a été repensée après le covid pour que le gestionnaire de paie devienne une personne ressource pour le collaborateur, du jour de son entrée jusqu’à son départ. “Je suis convaincue qu’avec l’arrivée de nouveaux outils, cette fonction va évoluer davantage vers cet aspect humain. On est très loin de l’image stéréotypée qu’on se fait du métier”, souligne-t-elle.

Les gestionnaires de paye peuvent ainsi être amenés à identifier les salariés en difficulté pour ensuite les accompagner en les réorientant vers d’autres professionnels. Le médecin, infirmier ou psychologue du travail pour la partie santé, ou encore les services de la CAF, la cellule surendettement de la banque de France, les mairies, une assistante sociale en interne ou en externe, ou encore un conseiller en économie sociale et familiale pour le volet administratif. Celui-ci pourra aider le salarié à mieux gérer son budget, intervenir auprès des commissions de surendettement, ou encore le renseigner sur les aides disponibles. Une manière aussi de préserver la santé mentale des RH et de leur redonner indirectement du pouvoir d’agir, là où leurs compétences et prérogatives s’arrêtent.

Accompagnement financier des salariés : quel champ des possibles pour les RH ?

Lorsqu’un salarié se retrouve en difficulté financière, il existe heureusement plusieurs dispositifs que les RH peuvent activer.

- L’acompte sur salaire. “Quand j’étais dans le secteur industriel, c’était très pratiqué, car beaucoup de salariés avaient des fins de mois difficiles. J’ai observé la même chose dans le secteur de l’interim”, affirme Stéphanie Carlucci. Il faut d’ailleurs savoir que l’acompte sur salaire est un droit auquel les employeurs ne peuvent pas s’opposer, car à la différence de l’avance sur salaire, le travail a déjà été effectué.

-Le prêt ponctuel de la part de l’employeur ou du CSE. Même si les entreprises ne sont pas des établissements bancaires, elles doivent appliquer des taux de référence et formaliser ce prêt (tableau d’amortissement, montant prélevé à date fixe, durée d’engagement).  “Ce qui peut être intéressant, c’est d’avoir un prêt avec le CSE qui peut piocher dans une partie de son budget d’aides aux salariés. Il peut notamment proposer des prêts à des taux défiant toute concurrence”, explique Léna Basile, DRH à temps partagé.

-Les dons de jours. “Ils sont particulièrement pertinents pour un salarié qui est obligé de s’absenter parce qu’il est aidant d’un proche par exemple. Cela lui permet de conserver sa rémunération”, poursuit notre interlocutrice.

-Le compte épargne temps. Il s’agit d’un compteur sur lequel le salarié peut épargner des jours de repos ou du monétaire et qu’il peut débloquer selon des circonstances particulières comme des travaux, l’arrivée d’un enfant, un deuil, une maladie, ou tout autre projet en fonction de l’accord d’entreprise signé.

-Le contrat de prévoyance et la mutuelle. Pour la DRH à temps partagé, il s’agit d’un élément central dans le volet prévention. Il peut se concrétiser par un capital versé aux ayants droits en cas de décès, d’un maintien de salaire en cas d’arrêt maladie ou d’incapacité/invalidité, etc. “Peu de salariés s’y intéressent et pourtant, c’est central en cas de coup dur”, lance-t-elle.

-Le Plan d’Épargne Entreprise (PEE). Là encore, il peut être débloqué dans certaines situations particulières et avec certains avantages fiscaux selon les situations.

La juste posture : l’anticipation

Au final, nos interlocutrices insistent sur le délicat équilibre entre l’empathie et l’accompagnement individualisé, et la nécessité de ne pas créer d’inéquités entre les salariés. “L’entreprise ne peut pas déresponsabiliser le salarié vis-à-vis de ses finances personnelles et s'immiscer dans la vie intime du salarié. Il y a une limite dans la vie privée à ne pas franchir. C’est là toute la difficulté”, conclut Léna Basile.

Face à ces situations complexes et très variées, l’anticipation s’avère être un élément clé. Mettre en place un dispositif d’émancipation financière, c’est permettre à ses salariés d’apprendre à faire mieux, d'être accompagnés par les bonnes personnes et ainsi d’éviter aux RH la gestion de ces situations délicates

Découvrez notre checklist politique de rémunération