Notre invité du jour, Jean-Louis Kiehl, est le président de Crésus, réseau national de lutte contre le surendettement. Il nous explique l'effet du surendettement sur les individus en difficulté financière et comment faire pour s'en sortir.
Quel panorama peut-on faire du surendettement en France aujourd’hui ?
4 chiffres clés à retenir pour vous donner une première idée du contexte :
Près de 1 million de clients bancaires en situation de surendettement,
Plus de 3 millions de personnes en fragilité financière,
12 millions de personnes éligibles à un accompagnement budgétaire,
1 dossier de surendettement toutes les 3 minutes, jour et nuit.
La bonne nouvelle est que le nombre d'entrants dans le surendettement est en forte diminution : il est passé de 220 000 personnes à 130 000. Les actions de prévention et d'accompagnement portent leurs fruits. Cela passe notamment par la signature de chartes avec les banques pour leurs clients fragiles, qui permettent de détecter les situations difficiles en amont pour trouver une solution avant que la spirale des difficultés financières n’empire. Comment ? En mettant en place une offre spécifique, un compte bancaire “low cost” pour éviter les dérapages et un plafonnement des frais bancaires.
Cette bonne nouvelle est cependant à relativiser : avec la crise de la COVID-19, les créanciers ont mis en place des moratoires et des délais de paiement, qui masquent pour le moment la fragilité de certains publics. On attend encore de voir les conséquences de la crise économique.
Cela est à mettre en regard de deux phénomènes actuels :
Le crédit : la transposition de la loi Lagarde a restructuré l’offre de crédit en France, en la rendant plus responsable, notamment avec un plafond des crédits renouvelables. Avec les taux d’intérêt bas, les prêteurs portent une grande attention à l’octroi, ce qui peut en exclure certaines personnes. Il faut favoriser l’accès au crédit, en réduisant l’excès.
L’inflation : elle crée un fort risque de dérapage du budget des ménages. Certains travailleurs sont à un niveau de revenus qui ne leur permet plus de couvrir leurs besoins essentiels (explosion du coût de l’énergie, augmentation des prix de l’alimentation, etc). On va sans doute observer un déséquilibre budgétaire à court terme.
Quel est l’impact du surendettement sur la santé des personnes, physique et morale ?
Le surendettement a un impact tragique sur la santé des individus touchés. Cela a un impact sur l’employabilité, l’envie de travailler, le goût de vivre. La fragilité financière est une violence et conduit à des troubles psychologiques. Un salarié finit par ne plus avoir le goût au travail, des couples se déchirent, des familles se fracturent ...
Il ne faut pas seulement se contenter du curatif, auprès de personnes déjà embourbées dans le cercle du surendettement. Il est important d’agir sur le préventif : détecter les situations de fragilité, éduquer les citoyens pour être autonomes et faire les bons choix. Cela passe par une prise en charge rapide, efficace et coordonnée des situations de fragilité, avec écoute, expertise et solution.
Que manque-t-il aujourd’hui pour améliorer la situation ?
Les outils curatifs existent. Ce qui manque est la prescription et la coordination. Aujourd’hui, l’intervention est trop tardive. Le surendettement est le dernier secours. Il faut réussir à sauver les gens du risque de surendettement.
Il faut que les entreprises et les banques soient attentives à leurs employés et clients fragiles. Les RH ont un rôle à jouer. En cas d’ATD ou de saisie sur salaire par exemple, ils devraient être en mesure d’agir vite. Beaucoup d’acteurs sont présents sur le terrain, mais l’action est disparate, non coordonnée.
Par ailleurs, il manque un fichier centralisé des crédits. La France est l’un des derniers pays au monde à ne pas disposer d’un tel registre - pour lequel Crésus milite.
Quelles solutions mettez-vous en place avec Crésus pour limiter les situations de fragilité financière ?
Crésus intervient sur le terrain depuis de nombreuses années. Il y a d’une part toutes nos actions de bénévolat, pour accueillir et accompagner les personnes en situation de surendettement.
Nous avons également construit un réseau de 43 partenaires, notamment bancaires, que nous formons à l’action sociale. L’idée est de remonter la chaîne de plus en plus pour repérer les situations de fragilité financière en amont. Nous proposons des outils de formation et de pédagogie. Dilemme.org est un jeu qui questionne les choix à faire dans des situations données, pour sensibiliser les personnes aux bonnes pratiques sous un format ludique. Nous avons un programme sur l’assurance, l’épargne et la retraite par exemple.
Nous avons un gros projet qui va sortir sous peu : une application de PFM, qui va permettre aux citoyens de calculer en temps réel leur reste à vivre, leurs droits sociaux et de solliciter des crédits avec une fiche certifiée. Cet outil, appelé BGV, sera distribué gratuitement par les banques et les mutuelles.
Notre but avec Crésus est de contribuer à une société plus juste et plus régulée.
Notre raison d’être est de prendre soin des autres, et nous ne perdons jamais espoir !
Jean-Louis Kiehl Président, Crésus